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La principauté de François II Rákóczi | ||||||||||||||||||||
La principauté de François II Rákóczi
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«Sine
nobis, de nobis»: dans son Manifeste aux peuples
du monde entier (publié au début de 1704,
mais antidaté du 7 juin 1703, du jour du commencement de la guerre
d’indépendance), François II Rákóczi rappelait par ces termes le fait que
c’était en l’absence des diplomates hongrois que l’Empire des Habsbourg et la
Porte avaient décidé du sort de la Hongrie.
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Or, à côté
du Royaume, la Principauté de Transylvanie avait, elle aussi, pris
part à la reconquête du pays en tant qu’allié politique et
militaire à part entière, qui plus d’une fois avait risqué de
compromettre son avenir et consentit d’énormes sacrifices matériels et
humains. En fait, les conséquences de la 360position impériale, lors de la conclusion de la paix de
Karlowitz, étaient ressenties dans toutes les couches de la société, des deux
côtés du mont Bihar. Au lieu d’être unis, le Royaume et la Principauté,
privés de leurs institutions politiques, furent soumis directement au
gouvernement de Vienne et séparément intégrés à l’Empire des
Habsbourg. Au mépris des compromis de 1686 et 1687, on les avait privés des
attributions étatiques fondamentales, comme l’armée nationale, l’autonomie
intérieure, la liberté religieuse, l’usage officiel et la culture de la
langue nationale, le maintien des relations traditionnelles avec l’étranger,
on avait donc entravé la poursuite des efforts pour rattraper les pays
occidentaux alors en plein essor. Vers la fin du XVIIe siècle, tous ceux qui se
préoccupaient de l’avenir de la Hongrie, qu’ils vécussent dans le Royaume ou
dans la Principauté et quelle que fût leur condition sociale – grands
dignitaires, nobles, bourgeois ou d’autres – étaient unanimes à penser
que cet état de choses risquait de conduire à l’assimilation
complète de la Hongrie. La nation (au sens que les contemporains
attribuaient à ce terme) et l’avenir étaient en danger. C’était
là une opinion partagée par la plupart des Transylvains, y compris les
grands seigneurs, les gentilshommes, les bourgeois, les dirigeants sicules
jaloux d’appartenir à la nation hongroise, et même les chefs
saxons. Il apparaît de toute une série de documents que les habitants de la
Transylvanie, qu’ils fussent Hongrois, Saxons ou Roumains, voyaient les gages
de leur avenir dans l’existence d’une principauté autonome.
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Vu
sa situation géographique, mais aussi en raison de sa diplomatie dynamique en
Occident pendant tout le XVIIe siècle, la Transylvanie tendait à devenir un
point névralgique sur l’échiquier politique européen et pouvait espérer
profiter, au seuil du XVIIIe siècle, d’une modification favorable de la conjoncture.
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Le
refoulement des Turcs avait profondément bouleversé les rapports de forces
sur le continent. Or, le souci de l’équilibre européen n’avait plus été,
déjà depuis un moment, l’affaire des seules dynasties des Bourbon et des
Habsbourg: tous les Etats veillaient scrupuleusement à son
maintien. Quand, à la fin de 1700, s’éteignit enfin le roi
d’Espagne, au terme d’une longue maladie, la question de savoir si c’était le
Roi-Soleil ou l’Empereur Léopold qui devait obtenir le riche héritage
espagnol apparaissait d’une importance vitale pour l’Angleterre et les
Provinces Unies. Dans le même temps, la Suède, ambitionnant depuis très
longtemps le contrôle du commerce de la mer du Nord, venait de trouver en la
Russie une redoutable concurrente. Depuis la visite à Vienne du
tsar Pierre Ier, il était
évident que la Russie allait jouer un rôle non négligeable dans la politique
européenne. Quant à la Transylvanie, des liens traditionnels
l’unissaient aux pays belligérants de la guerre de Succession d’Espagne:
tant à la France qu’à ses adversaires, l’Angleterre et les
Provinces Unies, alliées des Habsbourg; des traités de longue date la
rattachaient également à la Suède confrontée à la Russie
dans la guerre du Nord. La Principauté faisait aussi partie de la communauté
des pays protestants. Ainsi, elle était liée, par un réseau très complexe de
solidarités religieuses, de fondations d’écoles, d’attributions de bourses et
de liens personnels aux milieux protestants des pays des deux camps antagonistes,
en premier lieu aux principautés allemandes.
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La
guerre d’indépendance conduite par François II Rákóczi offrit à la
Transylvanie la possibilité de modifier son statu quo. Quand éclatèrent la
guerre de Succession d’Espagne et la guerre du Nord, on savait dans les pays
de l’Europe orientale que les rapports de force ne s’étaient pas encore
définitivement modifiés au profit de la monarchie danubienne que les
Habsbourg 361s’efforçaient
d’organiser en un Empire uni. En Haute-Hongrie, un groupe d’aristocrates, de
capitaines de places fortes et de serfs mi-bourgeois, mi commerçants
reconnurent, dès la première année du nouveau siècle, que dans les luttes
pour la restructuration de l’équilibre européen, la Hongrie avait une chance
de prendre position. Les chefs du soulèvement qui éclata au printemps de 1703
dans la Haute-Hongrie avec des objectifs patriotiques et sociaux, se
proposèrent de rétablir l’indépendance du pays et de moderniser ses
conditions sociales et ses institutions politiques.
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François
II Rákóczi, descendant des familles princières des Rákóczi et des Báthori,
était, en 1703, à peine âgé de 27 ans. Sa vie avait été marquée par
tous les avatars historiques qu’avaient subis le Royaume et la Principauté au
cours du quart de siècle
précédent. Son père, François Ier Rákóczi, Prince élu de Transylvanie
avait, à l’époque de la conspiration de Wesselényi, épousé, avec
des motivations politiques, Ilona Zrínyi, la fille de Péter Zrínyi, ban de
Croatie. Après l’arrestation des conjurés, François Ier Rákóczi dut payer un
tribut énorme pour sauver sa tête. Il mourait en 1676, quelques mois après la
naissance de son fils. Dès sa plus tendre jeunesse, François II fut élevé
pour régner. Conformément aux traditions de sa famille et d’Etienne Báthori
en particulier, sa grand-mère, Zsófia Báthori, visait pour lui la couronne de
Pologne, tandis qu’Ilona Zrínyi voyait en son fils l’héritier de la
Principauté de Transylvanie. Sur ses immenses domaines s’étendant sur des
régions entières et dans toute la Haute-Hongrie, nobles et paysans
l’honoraient du titre de «Prince» ou de «jeune Prince»: sa personne entrait
très tôt dans les comptes de Vienne. A neuf ans, il prit part, aux côtés de
son père adoptif Imre Thököly, à la campagne de Haute-Hongrie.
Pendant les opérations, il vivait dans le château de Munkács assiégé par les
Impériaux, et son nom fut connu pour cela dans toute l’Europe. Durant les
trois années de siège, Ilona Zrínyi fit des démarches diplomatiques pour
permettre à son fils d’être élevé à la cour de Pologne ou
en France sous des garanties internationales. Après la reddition du château,
il fut séparé de sa famille: pupille de l’Empereur Léopold, il fut élevé
parmi les fils des aristocrates autrichiens, au collège des Jésuites de
Neuhaus, en Bohême, puis fit des études à l’Université de Prague,
où il s’intéressait surtout à l’architecture et aux sciences.
Ensuite, dans le palais viennois de son beau-frère, le comte d’Aspremont,
représentant du groupe francophile de l’aristocratie militaire autrichienne,
il fit la connaissance des rapports internationaux d’Europe. Descendant des
Princes de Transylvanie, destiné à un rôle éminent en Hongrie, il
obtint la main de la princesse Charlotte Amélie de Hessen-Rheinfels, puis,
grâce à ce mariage et à l’appui des parents européens des
Hessen-Rheinfels, le titre du prince du Saint Empire romain. Lecteur assidu
des écrivains politiques contemporains, il étudiait plus particulièrement les
méthodes de gouvernement modernes.
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L’année
1694 vit son retour en Hongrie où il participa à la vie
politique en tant que comes perpétuel du comitat de Sáros. En 1697, un
soulèvement éclata en Hegyalja, fameuse région viticole et centre du commerce
du vin. Organisés et armés par des anciens lieutenants de Thököly, les
viniculteurs, serfs et habitants de bourgades insurgés
demandèrent à Rákóczi de se mettre à leur tête dans la
lutte qu’ils lançaient pour l’indépendance du pays et contre le régime
Habsbourg s’octroyant le monopole du commerce et recourant à la
coercition militaire. Mais cette fois-ci, Rákóczi déclina leur offre. Il
estimait que cette entreprise, isolée tant géographiquement que socialement
et basée essentiellement sur l’aide espérée des Turcs, n’avait guère de
chance de réussir. Toutefois, il deviendra, dès 1698, chef d’un mouvement
qui, organisé 362par
le comes du comitat d’Ung, Miklós Bercsényi, ainsi que par d’autres magnats
et la petite noblesse de la Haute-Hongrie, couvrait l’ensemble du pays, y
compris la Transylvanie. Les conjurés entrèrent également en contact avec
Louis XIV. Cependant, la conspiration fut découverte par Vienne au printemps
1701. Arrêté et emprisonné, Rákóczi sauva sa vie, grâce à un
complot international, en s’évadant de la cellule où son grand-père,
Péter Zrínyi avait été incarcéré avant son exécution. Réfugié en Pologne,
Rákóczi prépara, avec Bercsényi, les conditions diplomatiques, matérielles et
militaires d’une guerre d’indépendance.
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En
1700 et 1701, quand Rákóczi était déjà, avec Bercsényi et un groupe de nobles
de la Haute-Hongrie, en train d’organiser son mouvement dans le pays, il
envoyait ses agents aussi en Transylvanie pour traiter avec le gouverneur et
Miklós Bethlen. Les premiers projets des conspirateurs
relatifs à la Transylvanie ne nous sont connus que par leurs
lettres envoyées aux souverains de France et de Pologne. D’après celles-ci,
après avoir réuni ses troupes dispersées sur le territoire turc, Thököly devait
rentrer en Transylvanie pour occuper le trône princier. Il fallut cependant,
au printemps 1703, se rendre à l’évidence: pour ne pas violer le
traité conclu avec les Habsbourg, la Porte refusait de libérer Thököly. Dans
le même temps, ses anciens lieutenants s’avéraient incapables d’organiser les
insurgés en unités de combat.
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Dès
1701-1702, la pression fiscale de Vienne fit naître dans les villes et les
régions minières transylvaines des mouvements de protestation; les habitants
de la Terre sicule, des villages contrôlés par les châteaux ainsi que les
mineurs inquiétaient, par leur révoltes sporadiques, la cour de Vienne. En
dehors des 8 000 soldats impériaux stationnés dans la Principauté, les
garnisons allemandes de la Transylvanie de l’Ouest et les troupes auxiliaires
serbes installées autour de Várad pour surveiller le Partium étaient
prêtes à intervenir à tout moment. Bussy de Rabutin fit
décapiter le principal «juge du roi» Johann Harteneck qui réclamait des
droits pour les Saxons, puis fit emprisonner Gábor Nagyszegi, chef du
mouvement anti-uniate roumain (1702). Il fit mettre aux fers bourgeois,
artisans et Sicules; il convoqua, à Szeben, des aristocrates,
gentilshommes et officiers et les fit garder derrière les murailles de la
ville. Seul le capitaine de Kővár, le jeune Mihály Teleki,
échappa à Bussy de Rabutin en s’enfermant dans son château.
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Dès
l’automne 1703, après avoir occupé la Haute-Hongrie, Rákóczi s’adressa aux
Ordres de Transylvanie par des manifestes séparés destinés aux comitats, aux
Sicules et aux Saxons. De plus, il fut le premier homme politique
hongrois à lancer un manifeste à la «nation roumaine».
Mais il dut attendre le printemps de 1704 pour disposer d’une force armée
capable d’occuper la Transylvanie. Cependant, le rêve de Louis XIV
d’encercler Vienne par des troupes françaises et hongroises venait de s’évanouir
et la victoire remportée par les alliés sous la conduite du duc de
Marlborough (par l’armée anglaise et l’armée impériale commandée par le
prince Eugène) à Höchstädt
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Blenheim
(le 13 août 1704) donnait l’avantage décisif aux Impériaux. La guerre
s’annonçant longue, la diplomatie était devenue un élément central de la
politique: Rákóczi ne put pas se passer des relations avec les pays de
l’Europe. En fait, l’importance de la Principauté de Transylvanie avait été
attestée à maintes reprises au cours du siècle précédent par des
traités internationaux qui incluaient dans leurs stipulations les intérêts
spéciaux de la Transylvanie, et de ce fait, reconnaissaient sa souveraineté.
En tant que Prince de Transylvanie, Rákóczi incarnait donc cette souveraineté
et son pouvoir légitime, ce qui permettait à ses ambassadeurs
d’apparaître dans les cours 363des pays protestants: la Suède, l’Angleterre, la Hollande, les
principautés allemandes.
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D’autre
part, Rákóczi fut sollicité d’entrer en Transylvanie tant par les magnats
s’étant échappés de Szeben sous prétexte d’une opération militaire
impériale à accomplir ou simplement en s’enfuyant, que par les
délégués que lui avaient envoyés les sièges Sicules, les insurgés rassemblés
près de Brassó, sur le champ du Barcaság, et les bourgeois des villes. Sur le
plan de son organisation militaire et économique, le mouvement d’indépendance
transylvain prit un certain retard par rapport à celui du Royaume,
et ce retard lui coûta cher. Le Roumain Pintes Grigore, chef des insurgés de
Máramaros et de la région de Kővár tomba; les troupes du capitaine des
Sicules, Mihály Henter et celles de István Guthi et de Pál Kaszás, anciens capitaines
de Thököly, subirent de lourdes défaites. L’armée impériale se
livra à des représailles: le 13 mars 1704, elle incendia la ville
de Nagyenyed et son fameux collège calviniste, et passa au fil de l’épée ceux
qui s’y étaient réfugiés. Femmes et enfants, professeurs et élèves trouvèrent
la mort ou furent blessés sous les ruines noircis de ses murs.
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Dans
un libelle intitulé Columba Noe imprimé sous le pseudonyme de Fridericus Gotefridus
Veronensis à Amsterdam, le chancelier Miklós Bethlen qui
restait à Szeben, s’adressa à l’Europe afin de faire
revenir la paix dans son pays. Il proposa que l’indépendance de la
Transylvanie fût rétablie avec des garanties internationales, sous l’autorité
d’un prince protestant, car selon lui – Rákóczi et son entourage partageaient
cet avis – la Principauté était un facteur non négligeable du point de vue de
l’équilibre européen. Entre-temps, en fin de printemps 1704, Rákóczi envoya
des renforts en Transylvanie, ce qui permit aux insurgés de s’emparer de la
majeure partie du pays. Le nouveau commandant suprême, le comte Simon Forgách
refoulait les troupes de Bussy de Rabutin dans les villes de Szeben et de
Brassó. János Radvánszky, conseiller de l’organe gouvernemental du nouvel
Etat dans le Royaume, dit Consilium Aulicum, se mit à réorganiser
l’administration et l’économie dans la Transylvanie passée sous l’autorité de
Rákóczi.
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Le
8 juillet 1704, les Ordres de Transylvanie, réunis en
diète à Gyulafehérvár, élirent Rákóczi Prince.
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Ce
fut à la Diète hongroise de Szécsény (1705) que Rákóczi et ses
collaborateurs définirent les rapports du Royaume et de la Principauté – acte
impossible à différer car l’on apprit pendant cette Diète que le
Prince Eméric Thököly était décédé en Asie Mineure. L’assemblée décida alors
que les «deux patries», le Royaume et la Principauté de Transylvanie,
seraient désormais liées dans les cadres d’une confédération. Dès l’automne,
Rákóczi voulut se rendre en Transylvanie, mais son armée subit une défaite le
11 novembre 1705 dans le défilé de Zsibó. Ainsi ce ne fut qu’au printemps de
1706, à la Diète de Husit que les Ordres de Transylvanie purent
confirmer la confédération des deux pays. Les Sicules y furent représentés
par Benedek Henter, les comitats par Zsigmond Balogh, les villes par Péter
Gálffi, le Partium par György Dolhay, les Saxons par Andreas Soppel, les
Roumains par Gábor Nagyszegi. Au nom du parti aristocratique, Simon Kemény,
Mihály Teleki, Mihály Mikes, Ábrahám Barcsai, János Sándor et d’autres
votèrent la confédération.
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A
la mort de l’Empereur Léopold Ier, au printemps 1705, le trône fut occupé par son fils Joseph Ier, en vertu du droit de
succession. La Principauté transylvaine de François II Rákóczi lésait les
intérêts tant politiques que dynastiques des Habsbourg. Aussi le gouvernement
de Vienne ne cessait-il d’engager des effectifs importants pour la défense de
la Transylvanie et de 364mettre en jeu tout son poids diplomatique pour se défaire de
Rákóczi en tant que Prince. Mais la population protestante de l’Angleterre et
de la Hollande exprima de plus en plus sa sympathie pour ses coreligionnaires
de Transylvanie; dans le royaume insulaire on fit des collectes afin de faire
reconstruire le collège de Nagyenyed incendié. Quant à leurs
gouvernements qui, voulant accéder aux produits des mines de cuivre et de
mercure de la Haute-Hongrie et de la Transylvanie, comme garantie des prêts
consentis, ils proposèrent d’agir en médiateurs entre Rákóczi et le roi
Joseph. L’ambassadeur d’Angleterre, George Stepney et son homologue
hollandais, Jacob-Jan Hamel-Bruynincx reconnurent à la Principauté
de Transylvanie le droit d’avoir sa souveraineté, son économie indépendante
et sa liberté de confession. Mais la Cour impériale repoussa obstinément le
projet de conclure une paix dans ce sens avec des garanties internationales.
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La
situation militaire était telle que Rákóczi ne put entrer en Translyvanie
qu’au printemps 1707. «Rien ne manque à la Transylvanie qu’un bon
prince, père de son peuple», dit François II Rákóczi lorsqu’il fut investi de
la dignité princière, à la Diète de Marosvásárhely, après avoir
fait le tour du pays de ses ancêtres. Cette Diète vota toute une série de
réformes visant la création d’une armée permanente, l’immunité des soldats
serfs par rapport au régime seigneurial, le renforcement de l’économie
d’Etat, le développement de la production minière, la confirmation des
libertés religieuses et la réglementation des charges
relatives à l’entretien de l’armée. Tous les efforts du
commissariat chargé du ravitaillement de l’armée, du Consilium (organe
central du gouvernement) et de Jakab Grabarics, excellent spécialiste,
trésorier des mines des Monts métalliques, s’avérèrent néanmoins peu
efficaces en raison du peu de temps dont ils disposaient. Les chefs
militaires – le comte Lőrinc Pekry, puis le baron Sándor Károlyi –
durent s’incliner devant la supériorité numérique des Impériaux qui finirent
par occuper la Principauté. Conduite par Mihály Mikes, l’armée transylvaine
se replia sur la Moldavie et bon nombre de soldats et de familles de
Transylvanie se réfugièrent dans les comitats voisins de la Haute-Hongrie.
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A
la charnière de 1708 et 1709 il était devenu clair que les pays européens
belligérants s’épuisaient et se préparaient à la paix. Considérant
que seule une paix qui fût basée sur une conciliation des intérêts pourrait
garantir le calme et l’équilibre des forces dans une Europe future, l’on
poursuivait des négociations pendant des années. Rákóczi et ses diplomates,
qui étaient parfaitement conscients de l’importance de ces négociations pour
l’avenir, firent tout leur possible pour obtenir la réalisation des promesses
que la France avait faites afin d’encourager et de déclencher la guerre
d’indépendance. Quant aux délégués de l’Angleterre et des Provinces Unies,
ils reconnurent en 1706 comme une revendication légitime que le rapport entre
la Maison de Habsbourg et le Royaume de Hongrie soit réglé avec une médiation
internationale et que la Principauté de Transylvanie soit inclue dans le
traité de «paix universelle» mettant un terme aux guerres d’Europe. Rákóczi
envoya ses ambassadeurs aux conférences préliminaires de La Haye (1709) et de
Geertruidenberg (1710), mais ils ne pouvaient mener que des pourparlers
semiofficiels avec les représentants des deux puissances maritimes,
l’Angleterre et les Provinces Unies; ils réussirent cependant à faire
parvenir leurs revendications devant le parlement britannique; leur mission
ne fut donc pas sans porter des fruits. Rákóczi se déclara
prêt à renoncer à son titre de Prince de Transylvanie,
mais tenait fermement à l’indépendance du pays et à la
garantie de sa souveraineté. Le duc de Marlborough et Anton Heinsius, chef
du 365gouvernement
hollandais, jugèrent l’attitude de Rákóczi fort honorable. En Angleterre, un
album vit le jour à cette époque, dans lequel les nations de la
Transylvanie étaient présentées à travers cent-cinquante peintures
sur fin papier de Norfolk et avec des légendes en anglais. L’attention du
peintre – son nom est encore inconnu – de ces aquarelles d’un haut niveau
artistique fut retenue non seulement par la Transylvanie protestante: il
offrait un tableau détaillé aussi de la composition ethnique et
confessionnelle de toute la population. L’intérêt sans précédent
porté à la Transylvanie par l’opinion anglaise s’explique sans
doute par la conception politique fondamentale que l’Angleterre avait
adoptée à cette époque. Formulée notamment par Defoe, la devise
politique disant que «le bon équilibre des puissances fait vivre la paix» (A
just Balance of Power is the Life of Peace) s’accordait parfaitement avec la
conviction constamment proclamée de l’Etat de Rákóczi: une Transylvanie
indépendante pourrait contribuer à l’équilibre des forces et servir
de bastion de la paix en Europe. La même idée fut exprimée dans la brochure
que l’abbé Dominique Brenner, diplomate de Rákóczi, publia en latin et en
français pour informer l’Europe, et qui se réclamait des idées de Grotius et
du droit naturel. Cet écrit, qui rendit aussi compte des accords conclus
antérieurement entre le gouvernement des Habsbourg et la principauté de
Translyvanie et énuméra les documents de l’indépendance de cette dernière,
parut en août 1710, au moment même où Rákóczi annonça dans un manifeste
qu’avec la médiation de plusieurs pays, on entamait les négociations de paix.
Dans une lettre séparée, Rákóczi sollicita l’aide de la reine Anne afin qu’un
accord éventuel entre la Maison de Habsbourg et la Hongrie soit entouré de
garanties internationales. Aussi la reine délégua-t-elle, auprès de son
ambassadeur à Vienne, un envoyé spécial, Charles Mordaunt, Earl of
Peterborough, qui avait pour tâche principale de servir d’intermédiaire entre
Rákóczi et l’Empereur Joseph Ier dans les négociations en vue de terminer la guerre de
Succession d’Espagne par un traité de paix. Cependant, le prince Eugène de
Savoie, soucieux des intérêts de l’Empire et de la dynastie, se servit de
tous les moyens pour terminer la guerre en Hongrie non pas par un traité
entre Etats, mais par un accord entre le souverain et ses sujets. Il tenait
en particulier à la Transylvanie et s’efforça de détacher la
Principauté du camp de Rákóczi grâce à la double arme de la
violence et des actes de clémence fort étendus. A ceux qui avaient pris la
fuite on confisqua leurs propriétés, biens et maisons, on détruisit leur
foyer, on tracassa et rançonna durement leurs familles qui restaient sur
place, et même leurs parents lointains. D’autre part, l’Empereur Joseph
promit à tous ceux qui retourneraient en Transylvanie un pardon
total et la restitution sans faille de leurs biens à condition de
jurer fidélité à la Maison de Habsbourg.
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Parallèlement
aux négociations qui furent entamées entre les deux généraux chargés de
préparer le cessez-le-feu, puis le traité de paix, le comte János Pálffy,
commandant en chef de l’Empereur en Hongrie, et le baron Sándor Károlyi,
commandant en chef de Rákóczi, les membres hongrois et saxons du Conseil de
Transylvanie prêtèrent de nouveau serment de fidélité à Rákóczi et
affirmèrent qu’ils ne considéraient que les intérêts du peuple de la «douce
Patrie» (décembre 1710). Voulant se ménager une liberté de mouvement dans ses
relations internationales, Rákóczi se retira en Pologne avec ses principaux
dirigeants, d’où il réussit à trouver le contact indirect avec
Peterborough menant des pourparlers avec Eugène de Savoie à Vienne.
Mais il ne parvint cependant pas à empêcher l’accord vivement
sollicité par la Cour impériale. Au début de printemps 1711, Károlyi conclut
un accord séparé avec Pálffy, céda la place forte d’Ecsed aux Impériaux et
fit parvenir à Mihály Mikes, en 366Moldavie, le message du commandant en chef impérial. Tout cela
provoqua la panique parmi les Transylvains. Vienne ayant renouvelé la paix
avec les Ottomans alors même que la Porte déclarait la guerre à la
Russie, les hommes politiques transylvains effrayés par l’idée d’une
intervention turque envoyèrent quelques membres du Conseil
princier à la réunion de Szatmár où on négociait déjà la
paix à l’insu et sans l’autorisation de Rákóczi.
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Afin
de se concilier la bienveillance des médiateurs anglais et hollandais et pour
pouvoir terminer la guerre de Hongrie avant l’annonce de la mort de
l’Empereur Joseph Ier,
survenue subitement le 17 avril 1711, Eugène de Savoie reprit plusieurs
stipulations de Rákóczi avancées en faveur des Transylvains; il promit non
seulement la restitution des biens de la noblesse transylvaine, mais fit
aussi entrevoir une solution du problème confessionnel dans un esprit de
tolérance.
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Parmi
les signataires du document de traité de paix conclu le 29 avril 1711, Mihály
Barcsai et Mihály Teleki fils représentaient le Conseil princier de
Transylvanie, István Hunyady et János Szász, bourgmestres respectivement de
Nagybánya et de Felsőbánya, le signèrent au nom des villes. Leurs noms,
tout comme ceux des colonels des armées transylvaines et de l’armée de
Hongrie figuraient à titre privé sous le texte scellant le
compromis, sans garantie aucune, entre la dynastie et les Ordres. Presque
tous les Transylvains qui étaient partis pour la Moldavie, la Pologne ou dans
le Royaume, retournèrent dans leur pays; en été 1711, Mihály Mikes aussi fit
acte de fidélité devant le commandant impérial de Brassó. Peu de Transylvains
rejoignirent dans son émigration le Prince ayant perdu son pays.
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Une
fois parvenu en France, Rákóczi fit encore des démarches pour obtenir que la
Transylvanie soit inclue dans la paix européenne. Au moment des négociations
de paix d’Utrecht, Rákóczi, attachant quelques espoirs aux promesses
françaises, adressa un manifeste aux peuples d’Europe, dans lequel il affirma
que «selon le droit humain les peuples opprimés doivent, en cas
ultime, être secourus» par les puissances d’Europe, et il cita quantité
d’exemples pour prouver que nombreux furent les petits pays qui avaient
recouvré par des traités de paix leur indépendance «que certaines grandes
puissances avaient arrachée sous différents prétextes – parfois par la simple
conquête. Le cas de la Transylvanie, grosso modo, en relève, car elle doit
posséder ces mêmes droits».*
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