L’IMMORTEL COMTE DE SAINT-GERMAIN |
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C’est un trait curieux du caractère humain que de considérer
les étrangers et l’inconnu comme un danger. Ce trait rend l’homme
soupçonneux et inquiet en face de tout nouveau venu qui ne se conforme pas
au mode de penser et aux règles de conduite établis. |
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Lorsque le comte de Saint-Germain, parut en Angleterre, en 1745,
il ne fut pas surprenant qu’un honorable Anglais conformiste comme l’était
Horace Walpole, ait donné de lui le portrait suivant : « Il chante et joue du
violon à merveille, il compose, il est fou et déraisonne. » |
Certaines encyclopédies vont plus loin encore dans leur jugement
sur ce personnage mystérieux et le traitent, simplement, « d’aventurier ».
Mais il y a un abîme entre l’épithète dont on affuble un homme et l’étude
objective de sa vie et de sa nature. La plupart des commentaires défavorables
sur Saint-Germain ont des sources politiques. |
Pour la police française, il fut un espion prussien. D’autres
services secrets européens le soupçonnèrent d’être à la solde de la Russie ou
des jacobites anglais. Toutefois, ainsi que l’écrivit Lord Holdernesse à
Mitchell, l’ambassadeur d’Angleterre en Prusse : « Son interrogatoire ne fit
apparaître aucune preuve matérielle. » |
Voltaire, l’un des plus grands esprits qui aient illustré le
brillant XVIIIe siècle, avait une opinion définitive sur le comte de
Saint-Germain : « C’est un homme qui sait tout », disait-il. |
Dans les Mémoires de mon temps qu’écrivit le prince Karl Von
Hesse-Kassel, grand ami et disciple de Saint-Germain, il estime que le comte
est « l’un des plus grands philosophes qui aient jamais existé
». [1] |
Le comte Johann Karl Phillip Cobenzl (1712-1770), ambassadeur
d’Autriche à Bruxelles, avait aussi une très haute opinion de Saint-Germain :
« Il sait tout, disait-il et il montre une droiture et une bonté d’âme qui
forcent l’admiration. » [2] |
Notre incursion dans la vie de Saint-Germain aborde ses
réalisations scientifiques, c’était un maître des sciences anciennes dont
nous pouvons discerner les traces dans l’histoire et la légende. |
Ce fut le maréchal de Belle-Isle qui présenta le comte de
Saint-Germain à Mme de Pompadour et à Louis XV en 1749. Le roi s’ennuyait ;
la marquise vit en cet étranger un moyen de le distraire. Le comte eut, sur
l’alchimie, la science et autres sujets, plusieurs longs entretiens avec le
roi et sa favorite. |
Stéphanie-Félicité, comtesse de Genlis (1746-1830), pédagogue
qui écrivit plus de 80 volumes et reçut une pension de Napoléon I, disait
dans ses Mémoires (Paris, 1825),que Saint-Germain « était fort instruit en
physique et grand chimiste ». « Mon père », ajoutait-elle, « très qualifié
pour en juger, était sur ce point un grand admirateur de ses capacités.
» [3] |
SAINT-GERMAIN, LE GRAND ALCHIMISTE |
Sans aucun doute, le comte de Saint-Germain n’était pas
seulement bon chimiste, mais aussi parfait alchimiste. On lit dans le London
Chronicle du 3 juin 1760 : « En toute justice nous pouvons dire que cet homme
doit être considéré comme un étranger inconnu mais inoffensif, il a des
ressources dont la provenance est inexplicable mais qui lui permettent de
mener grand train. Venant d’Allemagne, il parvint en France avec la
réputation éclatante d’un alchimiste qui possède la poudre secrète et, de ce
fait, la médecine universelle. On murmura que l’étranger pouvait faire de
l’or. Le pied sur lequel il vit paraît confirmer cette rumeur. » |
La collection de diamants et de pierres précieuses du comte
augmentait encore sa réputation d’alchimiste. Le baron Charles-Henri de
Gleichen, diplomate danois en France, publia dans Mercure étranger, Paris
(1813), le récit des rencontres qu’il eut avec Saint-Germain. Au cours de
l’une d’elles « il me montra », dit-il, « une quantité de gemmes et surtout
des diamants de couleur, d’une grandeur et d’une perfection
extraordinaires. Je crus voir les trésors d’Aladin, possesseur de la lampe
merveilleuse ». [4] |
|
De nombreux épisodes attestent l’habileté de Saint-Germain dans
la transmutation des métaux. Lorsque le marquis de Valbelle lui rendit visite
dans son laboratoire, l’alchimiste lui demanda une pièce d’argent de six
francs. Après l’avoir enduite d’une substance noirâtre, il la soumit au feu ;
quelques minutes plus tard, le comte retira la pièce du four et quand elle
fut refroidie, elle n’était plus en argent, mais en or fin. [5] |
Casanova relate une expérience semblable dans ses Mémoires : «
Le comte me demanda si j’avais sur moi quelque monnaie. Je pris plusieurs
pièces et les mis sur la table. Il se leva et sans me dire ce qu’il allait
faire, prit un charbon ardent, le posa sur une plaque de métal et plaça une
pièce de douze sols sur le charbon après avoir posé sur la monnaie un grain
de poudre noire. Le comte alors souffla dessus et en deux minutes elle parut
incandescente. “ Attendez, me dit-il, laissez-la refroidir. ” Elle refroidit
presque instantanément. “ Prenez-la, elle est à vous ”, dit l’alchimiste. Je
pris la pièce de monnaie et vis qu’elle était changée en or. » [6] |
Casanova resta toutefois quelque peu sceptique sur cette
transmutation, mais l’histoire est de celles qui méritent l’attention. Le
comte de Cobenzl fut aussi témoin, chez Saint-Germain, de « la transmutation
d’un morceau de fer en un métal aussi beau que l’or et au moins aussi propre
aux travaux d’orfèvrerie ». |
Lorsqu’un chapelain de la cour de Versailles demanda
soupçonneusement à Saint-Germain s’il ne s’adonnait pas à la magie noire,
celui-ci répliqua que son laboratoire ne comportait rien de surnaturel et
qu’il était lui-même un chercheur sérieux dont les découvertes étaient déjà
utiles à l’humanité. |
Si la pierre philosophale servit à l’alchimiste à fabriquer de
l’or et des diamants, elle lui permit aussi de confectionner une eau de
Jouvence. |
De nombreux écrits, issus de personnes ayant connu
Saint-Germain, indiquent qu’il possédait un élixir dont il fit présent à
certains, en de rares occasions. |
Dans une lettre à Frédéric le Grand, Voltaire fait une allusion
significative à la longévité du comte : « Il aura probablement, écrit-il,
l’honneur de voir Votre Majesté au cours des cinquante prochaines années. » |
L’examen des documents contemporains, lettres, mémoires,
articles de presse, permettra peut-être de tirer une conclusion sur le
pouvoir qu’eut Saint-Germain de conserver vigueur et jeunesse au-delà des
limites assignées à l’homme. |
Notre premier témoin, le baron de Gleichen (1735-1807) rapporte
dans ses Mémoires qu’il a entendu « Rameau et une vieille parente d'un
ambassadeur de France à Venise, attester avoir connu M. de Saint-Germain en
1710, quand il avait l’apparence d’un homme de cinquante ans ». Jean-Philippe
Rameau (1683-1764) est le célèbre compositeur d’opéras et de ballets. [7] |
De leur côté, le maréchal de Belle-Isle et Mme du Hausset
décrivent deux scènes qui soulignent de façon typique l’intérêt que
Saint-Germain avait suscité chez Mme de Pompadour par sa réputation de
perpétuelle jeunesse. |
« — Vous prétendez donc avoir fabriqué un élixir de Jouvence ?
dit la favorite. |
— Ah ! madame, répond le comte, toutes les
femmes désirent l’élixir de jeunesse et tous les hommes convoitent la pierre
philosophale ; les unes, la beauté éternelle, les autres, l’éternelle
fortune. |
— Quel âge avez-vous ? |
— Quatre-vingt-cinq ans, peut-être ! |
— Vous ne m’abuserez pas, monsieur de
Saint-Germain, j’en saurai davantage sur vos prétentions, s’exclama la
marquise. J’ai déjà démasqué maints imposteurs et charlatans. |
— L’homme qui est devant vous est votre égal,
madame, risposta fièrement Saint-Germain. Avec votre permission, souffrez que
je me retire. » |
L’âge de l’alchimiste fut une nouvelle fois discuté en 1758 et
Mme du Hausset consigna le débat mot pour mot [8] : |
|
« — Vous ne nous dites toujours pas votre âge, remarque la
Pompadour, et vous vous donnez pour fort vieux. La comtesse de Gergy, qui
était ambassadrice à Venise il y a cinquante ans, je crois, dit vous y avoir
connu tel que vous êtes aujourd’hui. |
— Il est vrai, Madame, que j’ai connu Mme de
Gergy il y a bien longtemps. |
— Mais suivant ce qu’elle dit, vous auriez
plus de cent ans à présent ! |
— Ce n’est pas impossible, dit le comte en
riant, mais je conviens qu’il est possible que cette dame, que je respecte,
radote. |
— Elle dit que vous lui avez donné un élixir
aux effets merveilleux, elle prétend qu’elle a longtemps paru n’avoir que 24
ans. Pourquoi n’en donneriez-vous pas au roi ? questionna la marquise. |
— Ah ! madame, s’écria-t-il avec une sorte
d’effroi, que je m’avise de donner au roi une drogue inconnue ! Il faudrait
que je fusse fou ! » |
Refusant de donner son élixir à Louis XV, Saint-Germain n’en
prépara pas moins des crèmes de beauté très efficaces dont la Pompadour fut
enchantée. |
CHRONOLOGIE, SELON LES SOURCES DE L'ÉPOQUE |
Les réminiscences de Rameau et de Mme de Gergy placent notre
alchimiste à Venise en 1710. A cette date, il paraît avoir environ cinquante
ans. Il était donc né vers 1660 et en 1758, comme le disait la marquise, il
frisait la centaine. |
De 1737 à 1742, Saint-Germain est l’hôte très honoré du shah de
Perse. |
En 1745, l’auteur anglais Horace Walpole écrit à Mann résidant à
Florence : « L’autre jour fut saisi un curieux homme qui vit sous le nom de
comte de Saint-Germain. Il est à Londres depuis deux ans. » |
Le prince Ferdinand Lobkowitz reçoit le comte à Vienne sous son
toit au cours des années 1745-1746. |
En 1749 il arrive à Paris sur l’invitation du maréchal de
Belle-Isle qui, nous l’avons vu, l’introduit à la cour de Versailles. |
En 1750, l’éditeur Walsh, de Londres, publie la musique
pour violon composée par Saint-Germain, ce qui nous fournit encore une date
précise pour établir la biographie du personnage. [9] |
En 1756, le général Robert Clive, fondateur de la colonie
britannique des Indes, rencontre Saint-Germain dans ce lointain pays. |
Le comte réside à Saint-Pétersbourg en 1762 et prend part au
coup d’Etat qui place la Grande Catherine sur le trône de Russie. A la fin
de la même année, et en 1763, il est à Chambord, plongé dans ses
expériences chimiques et alchimiques. |
|
Sa trace est retrouvée à Berlin, en 1768, et l’année suivante,
son passage est signalé en Italie, en Corse et à Tunis. |
En 1770, il est l’hôte du comte Orlov lorsque la flotte russe
est au mouillage à Livourne (Italie). Saint-Germain porte alors l’uniforme de
général russe et les frères Orlov ont toujours parlé du rôle important qu’il
joua dans la révolution de palais dont la Grande Catherine fut la
bénéficiaire. |
Durant les années 70, le comte séjourne en Allemagne où il
participe aux activités des francs-maçons et rose-croix avec son protecteur,
ami et disciple, le prince Karl de Hesse-Kassel. |
Les registres de l’église d’Eckernfôrde, en Allemagne,
renferment le procès-verbal suivant : « Décédé le 27 février, enterré le 2
mars 1784, celui qui se donnait le nom de comte de Saint-Germain et Weldon,
sur lequel on n’a pas d’autres renseignements, a été inhumé dans l’église de
notre ville. » |
Le document paroissial qui ne dit pas où le comte était né
n’indique pas davantage la véritable identité du « soi-disant comte de
Saint-Germain ». Mais si nous nous référons à Rameau et à la comtesse de
Gergy, il aurait eu 124 ans au moment de son décès ! |
Toutefois, un an après cette mort officiellement enregistrée,
nous trouvons le mystérieux personnage participant à une réunion maçonnique !
Le Freimauer Brüderschaft in Frankreich insère cette notice : « Parmi les
francs-maçons invités à la grande conférence de Wilhelmsbad le 15 février
1785, nous trouvons Saint-Germain et Saint-Martin parmi beaucoup d’autres.
» [10] |
La comtesse de Genlis, déjà cité plus haut, consigne un
fait extravagant dans ses Mémoires - elle aurait rencontré le comte à Vienne
en 1821 ! |
Peu après cette date, le comte de Châlons, ambassadeur de France
à Venise, prétend également avoir tenu une conversation avec l’immortel
Saint-Germain sur la place Saint-Marc. |
Si, dans cette même Venise et d’après le témoignage de Mme de
Gergy, le comte paraissait avoir la cinquantaine en 1710, nous pouvons
calculer qu’en 1821 il aurait eu 161 ans ! |
Le grand âge et l’extrême verdeur du comte de Saint-Germain sont
une réalité qui ne peut s’expliquer sans admettre l’hypothèse de la pierre
philosophale. Le grand Voltaire aurait-il eu raison qui disait de
l’alchimiste : « C’est un homme qui ne meurt jamais » ? [11] |
LA TRÈS SAINTE TRINOSOPHIE |
|
L’unique manuscrit qui nous soit parvenu du comte de
Saint-Germain est la Très Sainte Trinosophie dont l’original est à la
bibliothèque de Troyes. |
Le document renferme des illustrations symboliques et un texte
hermétique. La section 5 contient quelques axiomes étranges : |
« A peine étais-je parvenu à la surface de la terre, que mon
conducteur invisible m’entraina plus rapidement encore, la vélocité avec
laqu’elle nous parcourions les espaces aeriens ne peut être comparée à rien
qu’a elle même; en un instant j’eus perdu de vue les plaines sur les qu’elles
je dominais... j’avais observé avec étonnement, que j’étais sorti du sein de
la Terre (...) La Terre ne me semblait plus qu’un nuage confus, j’étois élevé
à une hauteur immense mon guide invisible m’abandonna je redescendis pendant
un assez long tems je roulai dans l’espace; déja la terre se deployait a mes
regards troublés (...) je voyois des globes rouler autour de moi, des terres
graviter à mes peids. Etc... » |
Sans trop d’imagination, le passage suggère un long vol spatial
au cours duquel la Terre devient minuscule, ainsi qu’elle le parut aux
équipages d’Apollo. Mais Saint-Germain dut aller plus loin que la Lune car il
semble avoir atteint les planètes. |
Transmutation, prolongement de la vie, voyage spatial, conquête
du temps sont les frontières de la science et l’on peut admettre que le comte
de Saint-Germain avait accès à la fontaine secrète du savoir. |
Notes : |
·
[1] Mémoires de mon temps, dictés par landgrave Charles, prince de
Hesse (1861), p. 135. |
·
[2] Graf Philipp Cobenzl und seine Memoiren (1885) : Cet homme
parut à Bruxelles sous le nom de comte de Surmont [...], pp. 84-85. |
·
[3] Mémoires de Madame de Genlis: en un volume, Firmin Didot
Frères, 1857, p. 26. |
·
[4] Mercure étranger ou annales de la littérature étrangère,
Arthus-Bertrand, 1813. p. 254. |
·
[5] Souvenirs sur Marie Antoinette... et sur la cour de Versailles,
Volume 1, Étienne Léon Lamothe-Langon, 1836, p. 297. |
·
[6] Mémoires du Vénitien J. Casanova de Seingalt, Volume 12, Giacomo
Casanova, 1828. p.68. |
·
[7] Souvenirs de Charles-Henri, baron de Gleichen, L. Techener
fils, 1868, p. 126. |
·
[8] Mémoires de Madame Du Hausset, femme de chambre de Madame de
Pompadour, Baudouin frères, 1824, p. 150. |
·
[9] Sonatas for two violins with a bass for the harpsicord or
violoncello, Saint-Germain (Le Comte de), [J. Walsh] (London), 1750. |
·
[10] Freimaurer
Brüderschaft in Frankreich, Latomia, Vol. ii., p. 9. |
·
[11] Oeuvres completes de Voltaire: tome soixante-cinquième, 1785, p.
257. |
Bibliographie : |
· Nous ne sommes pas les premiers, Andrew Tomas, éd. Albin
Michel, Paris, 1972. |
· Jean Mourat et Paul Louvet, St Germain le Rose-Croix
immortel. Gallimard, Paris, 1934. |
·
« Anecdotes of a Mysterious Stranger », in
London Chronicle, 31 mai - 3 juin, 1760. |
· Jean Léclaireur : « Le secret du comte de Saint-Germain », in
Le lotus bleu, nº 7, 27 septembre 1895. |
· La Très sainte trinosophie. Édition intégrale, Paris, Denoël,
1971. |
· Franz Graeffer. Kleine Wiener Memoiren, Wien, 1846. |
· Horace Walpole, Letters to Sir Horace Mann. London, 1833. |
Table des illustrations : |
· 1) Le comte de Saint-Germain ? {Source inconnue} |
· 2) La seule et unique gravure représentant le comte de
Saint-Germain, [ portrait gravé au burin par N. Thomas, en 1783 d’après une
œuvre originale peinte à l’huile, introuvable à ce jour. La gravure a été
reproduite en janvier 1785 par le « journal de Berlin » (Berlinirche
Monatrchrift) sous le titre « Le Comte de Saint-Germain, célèbre Alchimiste »
] |
· 3) Page de titre des Mémoires de Madame Du Hausset. |
·
4) Buste du comte de Saint-Germain. Musée Nicolas Roerich, Moscou. |
· 5) La Très Sainte Trinosophie |
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